12 mai 2010

Trois questions à Claire Beaumont



Récemment, la Commission scolaire de Montréal annonçait que Lucie, sept ans, une fillette atteinte de paralysie cérébrale et d’une déficience intellectuelle, ne pouvait plus fréquenter la classe ordinaire où elle était inscrite depuis l’automne. De son côté, le Syndicat de l’enseignement de la région de Québec dénonce les tensions que vivent les enseignants aux prises avec des classes aux niveaux très disparates. Des situations que Claire Beaumont, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation, connaît bien.

Q  Faut-il intégrer systématiquement les enfants handicapés ou en difficulté de comportement, au risque de perturber les classes ordinaires?


R  Oui, il faut continuer à intégrer dans les classes les élèves qui ont des besoins spéciaux pour que tous les efforts faits dans la lutte contre l’exclusion sociale n’aient été vains. Cependant, il faut le faire autrement, et pas à tout prix! Il ne faut pas non plus que cette intégration se fasse au détriment des autres élèves. De plus, la décision d’intégrer ou non un enfant doit tenir compte du défi que cela représente pour le milieu, pour le parent, pour l’enfant lui-même. L’intégration exige que toute la communauté éducative soit préparée, qu’une réflexion collective ait été menée sur ce que cela implique, car l’enseignant a besoin du soutien des collègues, des autres élèves, des parents, des spécialistes de l’école et d’autres organismes. Il faut aussi reconnaître les limites de l’intégration pour certains enfants. C’est pourquoi la concertation entre l’école, la famille et le personnel spécialisé impliqué sera nécessaire avant de décider que c’est la classe ou l’école spéciale qui répondra le mieux aux besoins scolaires et sociaux de certains élèves.


Q Quels sont les ingrédients d’une intégration réussie?

R  La recherche montre que la scolarisation des jeunes qui ont des besoins particuliers est plus profitable si elle se fait dans le milieu de vie le plus naturel possible de l’enfant. Alors pourquoi cela ne semble pas fonctionner actuellement? Pourquoi les enseignants s’attendent-ils toujours à enseigner à une classe où tous sont au même niveau alors qu’on leur dit qu’ils doivent pratiquer une pédagogie différenciée adaptée aux besoins de chaque élève? Dans les écoles dites «inclusives», on développe des notions d’entraide, de collaboration, de respect et d’appréciation des différences. Sans nier les difficultés, on mise sur les forces de chacun et tout le monde peut participer à la vie du groupe, dans la mesure de ses capacités. Dans ces écoles, la direction encourage la collaboration entre tous, elle donne du temps au personnel pour se réunir, discuter. La direction coordonne les actions, recherche les partenariats avec la communauté, considère les parents comme des partenaires de l’école au quotidien. Dans cette école inclusive, l’enseignant n’est pas le seul responsable du cheminement de l’élève en difficulté. Toute la classe et l’école ont aussi leur rôle à jouer. Ce n’est pas simplement en ajoutant de l’argent qu’on règle le problème. Il faut une politique claire dans l’école qui tienne compte de l’inclusion pour préparer et soutenir le personnel scolaire.

Q Les enseignants sont-ils formés pour ce genre de pédagogie inclusive?

R  Trop peu d’heures sont consacrées à la formation initiale dans ce domaine et la nature de la formation diffère d’une université à une autre. Les besoins en formation sont grands et les formateurs expérimentés, trop peu nombreux. La formation initiale actuelle traite des besoins spéciaux de ces élèves, de moyens et de techniques pour les intégrer. Elle aborde peu, cependant, les valeurs ou la philosophie qui sous-tend l’éducation inclusive et prépare mal les futurs enseignants à travailler en collaboration. Pourtant, ces pratiques sont reconnues très efficaces pour favoriser la réussite scolaire des élèves et offrir du soutien aux enseignants. Pour que l’intégration se vive de façon satisfaisante pour tous, il est nécessaire que l’on fasse mieux connaître ce qu’est «l’éducation inclusive» dans la formation des futurs enseignants et aussi des directions d’école, qui doivent croire en une approche collective en matière d’intégration des élèves aux besoins spéciaux.

Propos recueillis par Pascale Guéricolas

Article publié dans le Fil des événements, édition du 6 mai 2010, volume 45, no 31.

Crédit photo : Fil des événements