SIXIÈME CONSTATATION :

Une collaboration élargie entre personnes

L'utilisation de nouvelles technologies favorise la collaboration entre élèves d'une même classe et entre élèves ou classes d'écoles différentes, proches ou lointaines, à des fins de sensibilisation à d'autres réalités, d'accès à des connaissances pertinentes non strictement définies à l'avance et de réalisation de projets ayant une portée réelle pour les élèves eux-mêmes et, éventuellement, d'autres personnes.

Points de repère

a) L'utilisation d'un ordinateur en liaison avec un ou plusieurs réseaux d'ordinateurs externes à une école offre de nombreux avantages. Ainsi, comme l'a bien montré le populaire National Geographic Kids Network, au sein duquel les élèves conduisent des expériences scientifiques tout en recueillant des données utiles à des recherches en cours, <<des projets effectués en collaboration sont possibles entre écoles ... De même, élèves et enseignants ou enseignantes peuvent obtenir instantanément de l'information concernant leurs projets d'une grande diversité de sources>> (Newman, 1994, p. 58).

b) La première phase du projet Apple Classrooms of Tomorrow (ACOT) a duré dix ans (1985-1995). Il a démarré dans des classes, sept dans autant d'écoles différentes du primaire et du secondaire, en 1986. Le nombre d'écoles et de classes a fluctué quelque peu par la suite. On a fait un usage intensif de l'ordinateur et d'une gamme étendue de logiciels, mais on a aussi conservé, surtout dans les premières années, plusieurs méthodes pédagogiques et ressources traditionnelles (manuels, enseignement direct à tout le groupe, etc.). Ce projet a donné lieu à plusieurs évaluations, tant par des chercheures et des chercheurs de la compagnie Apple que d'autres organismes, ainsi qu'à un suivi systématique (voir Dwyer, Ringstaff and Sandholtz, 1991, Dwyer, 1994 et West, 1995).

L'un des résultats les plus frappants et les plus constants de cette expérience est que l'utilisation que l'on a faite de la technologie n'a pas isolé les élèves les uns des autres, mais a, au contraire, multiplié les relations entre eux. La collaboration autour d'une gamme étendue d'activités d'apprentissage, souvent intellectuellement exigeantes et d'une certaine ampleur et durée, est même devenue, avec les années, l'une des principales caractéristiques du projet ACOT. Cette évolution a entraîné, entre autres, un climat de travail durable, un aménagement du temps consacré aux activités éducatives plus respectueux des rythmes individuels et de la nature des activités et des connexions de plus en plus nombreuses entre les matières et avec la réalité. (Voir id.).

c) L'évaluation de l'ensemble Lego TC Logo (voir Cinquième constatation, a), par Lafer et Markert (1994), a abouti à des résultats au moins en partie similaires concernant la collaboration entre élèves de l'enseignement primaire. Pour harmoniser le fonctionnement de machines construites avec des blocs Lego et du matériel complémentaire et une programmation sur ordinateur, les participants et les participantes ont dû apprendre à résoudre des conflits et à s'entraider. Le vif désir de trouver des solutions aux difficultés rencontrées a accru l'interdépendance et la collaboration entre eux. Chacun est devenu une ressource aussi bien pour découvrir les causes de ces difficultés que pour leur trouver des solutions.

Les chercheurs qui ont évalué cette expérience notent qu'il y a eu quelques conflits entre élèves, mais soulignent que de telles interactions sociales jouent un rôle important dans le développement de la capacité de penser. <<Quand il n'y a pas d'idées qui s'affrontent, affirment-ils, il n'y a guère d'incitation à remettre en cause celles que l'on possède déjà>> (Lafer and Markert, 1994, p. 89). Les chercheurs ont aussi été particulièrement frappés par le fait que, à la faveur de cette expérience, les élèves ont appris à coopérer dans le cadre de situations d'apprentissage qui avaient un sens pour eux. Cette coopération, font-ils remarquer, <<a évolué à partir d'une réponse à un besoin ... On l'a comprise comme un moyen pour accomplir un travail>> (ibid.). En conséquence, on n'a pas seulement <<acquis>> les normes inhérentes à la coopération; on les a <<effectivement mises en oeuvre>> à travers des situations réelles (ibid.).

d) Brownell et McArthur (1996) ont communiqué les résultats préliminaires de l'évaluation d'une expérience semblable réalisée dans une classe de 6e année. Dans ce cas, l'enseignante disposait comme matériel d'un ordinateur, d'un logiciel Lego TC Logo, de sept moteurs et de blocs Lego de diverses grosseurs et formes. En tentant cette expérience, elle voulait sensibiliser ses élèves au concept de robotique, leur faire pratiquer certaines habiletés en mathématiques et leur donner l'occasion de travailler en équipe (une quasi-nouveauté dans le cas de ce groupe d'élèves). Chaque jour, durant quatre semaines, les élèves, divisés en groupes de deux à quatre, disposaient de temps pour fabriquer un objet mobile qui devait avoir une fonction précise. Les chercheurs ont recueilli de deux manières leurs données en vue de l'évaluation: par de l'observation en classe et des interviews auprès de tous les élèves et de l'enseignante. Les résultats, quoique encore préliminaires, démontrent que, autant pour l'enseignante que pour les élèves, l'un des principaux domaines dans lequel il y a eu apprentissage est celui de l'interaction sociale (p. 271).

e) La plupart des logiciels éducatifs sont conçus en vue d'une utilisation individuelle. Toutefois, dans les écoles, il n'est pas toujours possible de disposer de tout l'équipement nécessaire à cette fin; on doit donc, par exemple, demander à deux élèves de travailler ensemble avec un seul ordinateur. Dans ce contexte, il devient particulièrement important de caractériser les interactions qui se produisent entre les élèves eux-mêmes, ainsi qu'entre les élèves et l'environnement d'apprentissage mis à leur disposition (principalement l'ordinateur et une manette, mais aussi des feuilles de directives et de travail).

McLellan (1994) signale une étude de grande échelle sur les interactions des élèves qui utilisent la technologie. Dans cette étude 38 élèves d'une école secondaire américaine inscrits dans un cours-laboratoire en astronomie ont été appelés à travailler avec un logiciel de simulation dénommé Sky Travel. Deux à deux, avec un compagnon ou une compagne de leur choix, les élèves devaient procéder à une série d'observations, les interpréter, dégager les points communs entre les phénomènes étudiés et formuler des hypothèses. Afin de recueillir le maximum de données sur les interactions des élèves, soit de caractère social, soit avec un objet du matériel d'apprentissage, on a utilisé plusieurs moyens différents : observation systématique, entrevues, etc. Par la suite, ces données ont été compilées et analysées avec les méthodes scientifiques jugées les plus appropriées.

Les 23 types d'interactions repérés ont été regroupés en quatre catégories, selon qu'elles se caractérisaient respectivement par une communication verbale, un geste ou une action du bras ou de la main, un déplacement ou une attention paticulière portée à tel ou tel objet (v.g. la lecture d'une feuille de directives) ou à rien de particulier. On a considéré séparément le fait que, dans la plupart des cas, l'un des partenaires utilisait le clavier et la manette beaucoup plus souvent que l'autre.


L'analyse des résultats indique que les échanges entre les élèves sont fréquents et substantiels, que, en cas de difficulté, l'on fait d'abord appel à son ou à sa partenaire plutôt qu'à l'enseignant et que celui qui travaille plus fréquemment avec l'ordinateur intervient plus souvent sous la forme de réponses ou d'explications alors que l'autre élève pose davantage de questions.

Dans l'ensemble, les élèves sont concentrés sur le travail à faire et se laissent peu distraire, même par leur partenaire. Toutefois, les élèves qui utilisent le moins l'ordinateur sont, en moyenne, légèrement moins attentifs que les autres. Les résultats de cette évaluation montrent aussi que les équipes entrent souvent en contact avec celles qui les entourent; ainsi, on se lève pour aller regarder ou pointer l'un ou l'autre écran et discuter des variations observées. À l'occasion, après discussion, on entre une donnée dans l'ordinateur d'une équipe voisine. On agit ainsi pour s'entraider, mais aussi, parfois, pour faire une simple vérification. Cette façon d'agir accroît sensiblement l'information dont peuvent disposer les élèves pour accomplir leur travail. Il ressort donc de cette étude que le travail de deux élèves avec un même ordinateur peut s'avérer très positif; il contribue en particulier à développer une capacité d'interaction sociale, elle-même jugée indispensable pour la maîtrise de certaines habiletés intellectuelles et la réalisation de certaines tâches (voir McLellan, 1994).

f) L'une des tendances décrites en 1991 par Allan Collins (voir Quatrième constatation, b) confère un sens élargi à l'intégration des normes inhérentes à la coopération entre élèves dont il est question à la fin du paragraphe c) ci-haut. Cette tendance est à l'effet que l'utilisation de la technologie dans le système scolaire est de nature à transformer la structure sociale de compétition que l'on y trouve présentement en <<une structure sociale de coopération>> (p. 30). Parmi les travaux qu'il cite à l'appui de son affirmation, il y a ceux du projet Apple Classrooms of Tomorrow (voir ci-haut, b) et de Marlene Scardamalia, de l'Ontario Institute for Studies in Education, et de ses collègues à l'origine du projet Computer Supported Intentional Learning Environments (CSILE). À l'intérieur de cet environnement relativement développé, <<les élèves commentent les notes écrites par tout un chacun et disent ce qu'ils pensent et ce qu'ils ne comprennent pas>> (p. 30).


Productions Tact

16 janvier 1997